La crise sanitaire a durement touché les EHPAD. Face à la surcharge de travail et à la pénurie de personnel, les établissements doivent s’organiser, se réinventer, mutualiser leurs efforts. La réduction de la pénibilité physique et des situations d’épuisement professionnel reste un enjeu majeur de prévention mais également d’image.
L’accompagnement et la prise en charge des personnes âgées dépendantes est en enjeu sociétal majeur, tristement mis en avant ces dernières semaines après la publication d’un livre enquête dénonçant des négligences et les pratiques de certains établissements. La profession, qui dans son immense majorité, s’attache à assurer le bien-être de ses résidents et des salariés a été, depuis le début de la crise sanitaire, durement éprouvée. Il existe 7 500 EHPAD (Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) offrant environ 600 000 places dans l’hexagone : des établissements publics, privés, commerciaux et associatifs. La sinistralité du secteur est élevée (voir encadré). Et depuis deux ans, il a fallu gérer l’augmentation des décès parmi les résidents, la charge émotionnelle associée, la fatigue, ou encore la peur de ramener le Sars-CoV-2 chez soi. La pénurie de personnel (personnes à risque, malades, cas contact…) s’est amplifiée. Des réorganisations ont été nécessaires pour répondre aux contraintes liées à l’épidémie : sectorisation, animation individuelle, repas pris en chambre… En parallèle, les difficultés liées aux relations avec les familles et aux ressources humaines ont pris de l’ampleur. Protéger sans isoler : la question s’est posée pour les résidents comme pour le personnel.
Une profession en quête de sens
Les professionnels d’EHPAD sont confrontés à de nombreux risques, avec en premier lieu les troubles musculosquelettiques (TMS), conséquences principales des manutentions et de la mobilisation des personnes. Les glissades et chutes sont nombreuses du fait des déplacements, qui souvent se font dans la précipitation et dans des espaces exigus. Sur le plan émotionnel, le personnel est confronté à la maladie, à l’isolement et au décès des résidents, de plus en plus âgés et dépendants. Certains d’entre eux présentent des troubles cognitifs pouvant les rendre agressifs, verbalement ou physiquement. Enfin, comme dans la plupart des établissements de soins, le risque infectieux et le risque chimique sont présents.
Dans ce contexte global, l’allègement des manutentions manuelles et la place du « prendre soin » dans l’activité sont une priorité. Il faut redonner du sens au travail en replaçant la relation humaine au centre du processus. Autant que possible, la prévention des risques professionnels doit être intégrée en amont, à l’occasion de la conception de nouveaux locaux ou de travaux de rénovation ou d’une évolution de l’organisation. Cela implique de prendre en compte les contraintes des salariés et de les associer aux projets : penser à l’intégration d’aides techniques par exemple, en équipant les chambres d’un rail plafonnier, si possible en H, sur lequel un moteur fixe peut être installé. Il s’agit également de prévoir les espaces de stockage nécessaires pour le matériel, de penser aux revêtements de sols antidérapants et permettant de se déplacer sans effort avec les aides techniques mobiles, en évitant les obstacles et les dénivellations. Des retours d’expérience collectifs sur ces changements doivent être prévus.
Former à tous les niveaux
De nombreux EHPAD sont suivis dans le cadre de TMS Pros, le programme national de prévention des troubles musculosquelettiques de l’Assurance maladie – risques professionnels, dans lequel un volet sanitaire et médico-social incluant des outils spécifiques et des préconisations de formation, a été intégré. Depuis 2021, une approche sectorielle est déployée, avec une action en direction des fédérations et syndicats professionnels. Plus qu’un programme sur les TMS, c’est toute une ingénierie qui est mise à disposition avec des ressources et partenariats possibles pour enclencher une démarche globale de prévention. Un dispositif de formation de l’INRS et du réseau de l’Assurance maladie risques professionnels a été conçu avec la profession, pour les établissements d’accueil et d’hébergement de personnes âgées et l’ensemble du secteur sanitaire et médico-social (SMS). Ces formations peuvent être financées par les Opérateurs de compétences (OPCO) et les Carsat et elles s’adressent à trois niveaux d’acteurs – le dirigeant, un animateur prévention et le personnel -, qu’il est indispensable de mobiliser de façon concomitante. Le dirigeant, chargé d’initier, développer et manager la prévention, doit acquérir des compétences de pilotage de projet. À travers une formation action, l’animateur prévention aura des compétences de coordination et d’animation de projet et sera la pierre angulaire d’une démarche de prévention des risques pérenne. Enfin, le personnel suivra une formation d’acteur PRAP 2S (prévention des risques liés à l’activité physique dans le secteur sanitaire et social).
Une nouvelle philosophie de soin
Depuis plusieurs années, l’INRS propose la démarche ALM (Accompagner la mobilité de la personne aidée en prenant soin de l’autre et de soi) dont l’objectif est de prévenir les risques de TMS et de chutes liées au portage des patients. Le dispositif Prap2S déployé par l’Institut permet désormais de former à cette démarche. Celle-ci est fondée sur l’analyse préalable de chaque situation d’accompagnement. Elle tient compte des capacités du résident dans son environnement et de leur évolution au fil de la journée. En s’appuyant sur les déplacements naturels et la mise en confiance, on évite les postures délétères pour le soignant tout en favorisant le maintien en autonomie de la personne âgée. Au préalable, les locaux doivent être aménagés de façon à permettre ces déplacements autonomes et des aides techniques au déplacement (drap de glisse, lits médicalisés, lève personnes…) disponibles et à proximité. L’Assurance maladie – risques professionnels propose aux entreprises de moins de 50 salariés une subvention Aide et soins à la personne en établissement, pour les accompagner dans l’achat d’équipements adaptés. Dans les établissements qui mettent en œuvre la démarche ALM, on évoque une philosophie du soin nouvelle qui amène à se réinterroger sur ses pratiques, à s’investir collectivement autour d’un projet. Pour autant, une direction engagée, un animateur prévention pour animer la démarche et des acteurs PRAP ne suffisent pas toujours. Car les professionnels ne cessent de courir après le temps.
Avancer ensemble
Ainsi, ces dernières années, des actions collectives ont émergé. C’est le cas par exemple dans les Landes, sur différents territoires, au plus près du bassin d’emplois. Sous l’impulsion de la Carsat Aquitaine et avec l’accompagnement d’un ergonome, l’une de ces actions a permis de favoriser des échanges au niveau local : poser les socles en prévention, travailler sur un plan d’actions adapté et proposer un suivi, avec des temps collectifs et individuels. Travailler ensemble amène à s’appeler, se reconnaître, se transférer des outils. Sur le terrain, on observe un vif intérêt à s’engager, même si la pénurie de personnel ne rend pas les choses simples. Dans certains départements, le déploiement de plateformes territoriales solidaires (PTS), sous l’impulsion des Agences régionales de santé, permet là aussi d’essayer de faire cause commune pour améliorer une image du métier quelque peu écornée. La santé et la sécurité au travail constituent aujourd’hui un fort enjeu d’attractivité et la mutualisation des bonnes pratiques est essentielle.
Panorama et sinistralité
430 000 salariés travaillent en EHPAD, soit 377 000 ETP, représentant une grande diversité de métiers : professionnels du soin, cuisiniers, animateurs, lingers, agents de direction… La sinistralité du secteur est élevée : près de 25 000 accidents du travail et 1 400 maladies professionnelles en 2019, selon les chiffres de l’Assurance maladie. Les accidents du travail sont pour 68 % liés aux manutentions manuelles et 17 % aux chutes de plain-pied. Les affections périarticulaires (TMS) représentent quant à elles l’écrasante majorité des maladies professionnelles (plus de 90 %).